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Rencontres avec les auteurs de “Nouvelles de Pékin”

Samedi 13 avril 2024, après-midi, le Festival du livre de Paris a été le théâtre d'un événement majeur pour la littérature internationale avec le lancement de Nouvelles de Pékin, un recueil de nouvelles publié par La Route de la Soie-Éditions. Le panel, modéré par XU Shuang, Professeur de littérature chinoise de l’Université Paris Cité, a réuni les auteurs Wen Zhen, Shi Yifeng, Ning Ken, ainsi que la traductrice Marion Dubois et la sinologue Isabelle Rabut, qui ont exploré les nuances de la traduction et l'importance des lieux dans la littérature.

 

Pékin ville des imaginaires littéraires ?

Chaque nouvelle du recueil offre une perspective unique sur Pékin, une ville qui a su évoluer tout en conservant ses racines culturelles profondes. Ces histoires, bien que fictionnelles, sont ancrées dans des réalités urbaines palpables, servant de miroir aux transformations rapides de la ville et à ses impacts sur les résidents.

Wen Zhen évoque dans "Poisson Pulmoné" la vie dans les marges de Pékin, où le quotidien est une lutte mais aussi une célébration de la résilience humaine. L'histoire suit un groupe de personnes qui, face à des adversités extrêmes, trouvent des moyens uniques de survie et d'adaptation.

Shi Yifeng, dans "Trois Hommes", explore les interactions complexes entre trois personnages dont les vies se croisent dans un Pékin à la fois moderne et traditionnel. La nouvelle est une réflexion profonde sur les désirs, les illusions et la quête d'authenticité au sein de la métropole bouillonnante.

Ning Ken, dans "Le Train", présente un voyage tant physique que métaphorique qui interroge les choix de vie et leurs répercussions imprévues. Le récit, par son style direct et poignant, illustre le parcours d'un homme à travers différents lieux de Pékin, symbolisant les étapes de sa vie.

 

Le rôle crucial de la traduction

Isabelle Rabut a apporté un éclairage sur l'importance de la traduction dans la préservation des nuances culturelles et des images littéraires. Selon elle, "chaque mot en chinois porte en lui une mémoire, un fragment d'histoire et une couleur émotionnelle qui doivent être soigneusement transposés pour maintenir l'intégrité du texte original." Elle a insisté sur la complexité de traduire non seulement la langue mais aussi les contextes culturels qui donnent à ces récits leur véritable signification.

Marion Dubois a partagé son expérience dans la traduction de la nouvelle de Shi Yifeng, soulignant les défis de rendre les subtilités du chinois tout en conservant un flux narratif agréable pour le lecteur francophone. "Traduire c'est aussi transmettre un univers, et chaque choix lexical est une porte vers une compréhension plus profonde du texte." Elle a aussi souligné l’enjeu dans cette nouvelle où le réel et le virtuel s’entremêlent, où le jeu des mots nous entraîne dans un questionnement sans fin où tout se résout dans une phrase finale qui n’est qu’un commencement sans doute. 

 

"Poisson Pulmoné" de et par Wen Zhen

"Poisson Pulmoné" illustre avec finesse comment les personnages principaux, malgré un environnement austère, cultivent une résilience remarquable. Wen utilise le poisson pulmoné, un animal capable de survivre dans des conditions extrêmement arides, comme métaphore de la capacité des habitants de Pékin à naviguer dans la complexité de leur environnement urbain. L'histoire tisse des liens entre le passé et le présent, montrant comment les souvenirs et les lieux de Pékin sont indissociablement liés aux identités de ses citoyens.

 

“Le train” de et par Ning Keng 

"Le Train", écrite par Ning Ken, est une nouvelle qui capture l'essence de la transformation personnelle à travers le prisme de Pékin, en utilisant le train comme métaphore centrale du voyage à la fois physique et émotionnel. Ce récit se distingue par sa réflexion sur les choix de vie, les regrets, et les conséquences de nos décisions qui semblent souvent imperceptibles au moment de les prendre.

Ning Ken explore la vie d'un homme qui, en prenant différents trains à travers Pékin, revisite littéralement et métaphoriquement les stations de sa vie. Chaque arrêt représente un moment clé de son existence : des amours perdus, des opportunités de carrière non saisies, et des amitiés qui se sont estompées avec le temps. Le train avance inexorablement, symbole de la marche du temps qui ne permet pas de retour en arrière.

La manière dont l'auteur intègre les aspects historiques et contemporains de Pékin enrichit le récit. Les descriptions des quartiers traversés par le protagoniste sont empreintes de nostalgie, évoquant les changements rapides de la ville qui miroitent ses propres transformations intérieures. Le train devient ainsi un lieu de méditation et de confrontation avec soi-même, où les pensées du protagoniste oscillent entre acceptation et regret. 

La nouvelle aborde également la notion de destin et de libre arbitre. Le protagoniste, à travers ses voyages en train, semble chercher une direction ou une validation des choix qu'il a faits. Il est intéressant de noter comment Ning Ken utilise le mouvement constant du train pour symboliser une quête de sens qui, en réalité, n'aboutit jamais à une réponse définitive, reflétant la complexité de la vie humaine.

"Le Train" suggère que tout comme Pékin, avec ses couches d'histoire et de modernité, les individus sont des palimpsestes de leurs choix passés, présents, et futurs. Les trains, dans leur passage incessant, rappellent que bien que nous puissions voyager loin, nous transportons toujours nos histoires avec nous. C'est une puissante métaphore de la manière dont notre passé façonne notre présent et notre perception du futur.

 

“Trois hommes” de et par Shi Yifeng

Avant de conclure notre exploration de "Nouvelles de Pékin", il est essentiel de se pencher sur "Trois Hommes" de Shi Yifeng, qui offre un regard poignant sur les interactions humaines dans le cadre urbain complexe de Pékin. Cette nouvelle se distingue par son exploration profonde des relations interpersonnelles, mettant en lumière les attentes sociales, les conflits personnels et les illusions qui souvent accompagnent les relations modernes.

Dans "Trois Hommes", Shi Yifeng tisse l'histoire de trois personnages dont les vies se croisent de manière inattendue, chacun luttant contre ses propres démons et désirs. Le cadre de Pékin sert de toile de fond dynamique à leurs histoires, reflétant les tensions et les dynamiques qui influencent leurs interactions. La métropole est presque un quatrième personnage dans le récit, son rythme et ses transformations urbaines agissant comme un catalyseur des révélations personnelles et des crises.

La nouvelle explore des thèmes tels que la solitude en milieu urbain, le poids des attentes professionnelles et familiales, et le désir universel de connexion authentique. À travers des dialogues incisifs et des descriptions évocatrices, Shi Yifeng capture l'essence des défis émotionnels et sociaux auxquels ses personnages sont confrontés, rendant leurs expériences à la fois uniques à leur contexte culturel et universellement identifiables.

Le récit est particulièrement habile à démontrer comment les individus peuvent être physiquement proches tout en étant émotionnellement distants, une dichotomie fréquente dans les grandes villes comme Pékin. Les personnages de "Trois Hommes" se débattent avec leurs identités, leurs aspirations et leurs regrets dans un espace urbain qui offre tant d'opportunités que d'isolement.

 

Les nouvelles littératures 

En écoutant les analyses, les recherches menées par les trois auteurs, il devient évident que Nouvelles de Pékin n'est pas simplement un recueil de récits sur une ville, mais une exploration profonde de l'âme humaine à travers le prisme de Pékin. 

Les auteurs, avec leurs styles distincts mais complémentaires, offrent une fresque riche de la vie urbaine moderne, marquée par des moments de connexion, de solitude et de révélation personnelle. 

Ces histoires résonnent avec quiconque s'intéresse à la dynamique des espaces urbains et à leur influence sur l'individu. Ning Ken, Wen Zhen, et Shi Yifeng, avec l'aide précieuse de leurs traducteurs, ont réussi à créer un tableau vivant et évocateur de la vie dans une des villes les plus emblématiques du monde, faisant de ce recueil une œuvre significative dans le paysage de la littérature contemporaine.

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